« Une France sans éleveurs est un futur sans tauromachie »
Entretien : Thierry Rippol (toreria.net pour vuelta)
Ernest Fernay à grandi au sein de l’élevage de toros que son père, Justin, avait créé en 1940 avec des bêtes de Pouly et Saurel… Sa première passion fut d’être torero. Torero à cheval car il était un cavalier émérite et en 1943 il fit ses débuts comme « caballero en plaza » avant de créer sa propre ganaderia en 1953 avec des vaches d’origines Pinto Barreiros et Perez Tabernero, cheptel évoluant par l’apport de différents sementales. Il fut aussi organisateur de spectacles taurins et dirigea les arènes d’Istres…. Et c’est tout naturellement, à son décès, qu’à l’âge de 16 ans, son fils Olivier, le cadet et seul garçon de ses cinq enfants, prit sa suite à la tête de l’élevage qu’il installa un peu plus tard au Mas des Jasses de la ville à Pont de Crau aux portes d’Arles….
L’origine actuelle de la ganaderia est, on peut dire pure origine J.P Domecq par différentes provenances : Jandilla, Algarra, Victoriano Del Rio, Garcia Jiménez….
L’ensemble du cheptel se partage 220 hectares de prairies autour du mas et de garrigues dans les Alpilles. Quatre vingt mères pour cinq sementales lui apportent environ une trentaine de mâles chaque année…
-Des lots prévus pour 2020 … Et lesquels étaient retenus ou en voie de l’être ?
Pour cette année j’ai une corrida, une novillada piquée et deux lots de becerros, le reste étant toréé en privé. Les négociations en cours sont toutes en stand bye et avec le report des Ferias rien n’est encourageant.
De plus, malheureusement la majeure partie des ferias françaises ou espagnoles sont constituées avec les 10 mêmes élevages, grandes ou petites arènes confondues. Même si certains organisateurs jouent le jeu de programmer des toros de chez nous et qui en 2020 n’ont plu a faire leurs preuves, ce n’est pas suffisant.
-Comment tu te projettes dans l’avenir avec ton élevage (En faisant abstraction du problème du Corovirus)
Pour nous autre l’avenir proche est très compliqué, élever des toros aujourd’hui est soit un métier ou il faut être fou ou alors il faut être riche voire très riche ou du moins ne pas en attendre un retour financier !
Quand j’étais gamin je voyais les réunions de ganaderos, des gens de la terre et des passionnés du campo, et qui vendaient leurs bêtes, aujourd’hui si tu n’as pas d’arènes, ou d’influences pour obtenir des échanges ou par copinage, tu te retrouves à boucher les trous et surtout à vendre des toros largement moins chers que ce qu’ils ont coûté. Ce n’est pas normal. Les aides ou subventions versées aux organisateurs devraient être réservées a la promotion des élevages du Pays.
Aujourd’hui je suis agriculteur éleveur, j’ai une exploitation et une famille a charge, donc même si je sors assez peu mes toros c’est que, je le pense, je ne peux pas les brader. Concernant un avenir plus lointain j’ai du mal à imaginer un futur où on pourrait vivre de nos toros. Je maintiens l’élevage transmis par mes parents alors que j’étais très jeune et mon souhait serait que mes deux filles puissent perpétuer la ganaderia, mais en aucun cas il faut que ce qui est une passion devienne une contrainte.
-Globalement tu as des produits d’un très bon niveau mais tu sors très peu.
En 2018, ma ganaderia a reçu plusieurs prix, le Prix de la Corrida Concours de Orthez, le 1° Prix de Ville d’Arles et le 1° prix des Club Taurins Ricard pour mes becerros..
Malgré cela il n’y a aucun retour ou très peu. Sauf certains organisateurs qui jouent la carte Française et qui se reconnaîtront. Préparer des lots de toros pour les années suivantes est une ruine, tout augmente, les charges, les aliments, les cotisations, les assurances, les frais vétérinaire. Alors que le prix de vente des toros pour l’arène ou pour l’abattoir est en baisse.… S’il n’y a pas une vraie prise de conscience des politiques ou autre d’imposer aux arènes qui ne jouent pas le jeu de prendre des lots issus du pays, beaucoup d’éleveurs sont appelés à disparaître. Et une France sans éleveurs c’est un futur sans tauromachie !
-Aujourd’hui tout est à l’arrêt. Coté taurin, plus d’arènes jusqu’à nouvel ordre, plus de fiestas camperas…. Impact, moral et financier : que faire des lots prêts à être lidier ?
Ce qui permet aujourd’hui à mon élevage de continuer à vivre c’est l’activité touristique, au travers des visites de l’élevage, des journées de découverte avec repas, la location de salle pour les événements et nos soirées Camargue organisées tous les mardis l’été ouverte a tous. Et j’en profite pour remercie mes proches et mes amis qui contribuent à faire vivre « La Manade Fernay »
Mais avec les évènements liés au Coronavirus tout est annulé, tous nos groupes prévus pour Mars, Avril et Mai le sont déjà. Pour l’instant nous n’avons plus de réservation pour les mois à venir. A ce jour rien de précis ne vient pour nous rassurer concernant des aides, j’espère que cela vienne rapidement car ce sont nos exploitations qui sont en danger, même si nous n’avons pas vraiment le choix à part celui de rester chez nous.
-Et pour le quotidien, les faenas camperas.
Le travail de l’élevage continue pour les soins journaliers mais toutes les tâches où il faut du monde doivent être reportées. La santé de tous, passe en priorité. En espérant vraiment que nous nous retrouvions vite aux arènes et dans nos élevages.
Ojala !